Lors de mon dernier séjour à New York, j’ai enfin pu aller faire un tour guidé dans le quartier de Bushwick. En quelques années, ce quartier de Brooklyn est devenu LA référence en termes de street art. De nombreux artistes viennent du monde entier pour peindre des fresques pour le Bushwick Collective. Lors de cette visite, j’ai eu la chance de découvrir Bushwick avec une guide native du quartier et passionnée par sa ville. Aujourd’hui, j’ai envie de partager avec vous ce qu’elle a pu nous apprendre au cours de cette matinée. Cet article ne traitera pas que du street art à Bushwick, mais aussi de l’impact qu’a eu le street-art dans le quartier, avec ses points positifs mais aussi négatifs.
Remontons d’abord dans l’histoire du quartier
Ce quartier a été fondé au 17ᵉ siècle par les colonies hollandaises qui s’installaient à Brooklyn. Le quartier se nommait alors Boswijck (“petite ville dans les bois” en néerlandais). C’est un quartier qui a évolué au fil des années avec différentes vagues d’immigrations : allemands, italiens, porto ricain… À la fin du 20ᵉ siècle, de nombreuses familles des Caraïbes et d’Amérique centrale s’installent à Bushwick. En 2008, 32% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté ce qui classe Bushwick comme étant le 7ᵉ quartier le plus pauvre de la ville.
Tout ces chiffres pour vous expliquer que le Bushwick d’aujourd’hui ne ressemble en rien au Bushwick qu’ont pu connaître les habitants, il y a 20 ans de ça.
Meryl Meisler, photographe et enseignante est arrivée à Bushwick dans les années 80, et elle en a profité pour faire des clichés du quartier à cette époque difficile (voir les photos ci-dessous). Bushwick est pauvre, le taux de criminalité est très élevé, les rues sont extrêmement sales, de nombreux gangs font la loi, et la drogue est partout. Voilà le milieu dans lequel les habitants du quartier ont grandi. Notre guide, ayant grandi ici, a vraiment voulu mettre en évidence le fait qu’il y a 20 ans de ça, personne n’aurait mis les pieds à Bushwick, et aujourd’hui, il s’agit d’un des quartiers les plus hype de Brooklyn.
Quelques clichés de Bushwick dans les années 80 par la photographe Meryl Meisler
L’arrivée du street-art à Bushwick
Si le quartier de Bushwick est désormais the place to be pour le street art, c’est grâce au Bushwick Collective, fondé par Joseph Ficalora. Né en 1978, cet Américain grandit à Bushwick. A ses 12 ans, son père se fait poignarder dans la rue à la sortie d’un métro. En 2011, Joseph perd sa mère d’une tumeur au cerveau. Ce quartier, Joseph Ficalora y a grandit, mais il n’en a aucun bon souvenir. Pour ne pas sombrer dans la dépression il décide d’amener de la couleur sur les murs et de transformer le quartier. En 2012, il contacte des muralistes et les invite à venir peindre gracieusement les murs de Bushwick. Depuis la création du Bushwick Collective en 2012, des dizaines d’artistes du monde entier sont venus magnifier les rues.
J’ai vraiment été impressionnée par la présence de l’art urbain dans ce quartier. Il est PARTOUT! Parfois on ne se rend même pas compte, on regarde quelque chose, et c’est un oeuvre d’art. J’ai été fascinée par de nombreuses murales, toutes aussi impressionnantes les unes que les autres. On retrouve les murales de Sipros, Jeff Henriquez, Giz, D*Face, LMNOP, Invader, Sara Erenthal, Jeff Aerosol, Louis Masai, Dede, Blek le rat, et j’en passe… 😉 Le Bushwick Collective offre une galerie d’art à ciel ouvert incroyable!
Le street art pour transmettre un message
Comme l’a bien dit notre guide : “Quand vous visitez une ville pour la première fois, observez les murs, lisez les, analysez les murales, et vous comprendrez l’état actuel de la ville”. En effet, un peu partout dans Bushwick (et NYC), on peut lire des graffitis #NOTMYPRESIDENT, ou encore cette banderole que j’ai aperçu dans Bushwick disant “No war but class war” (pas de guerre mais la guerre des classes) qui montre l’opposition face au capitalisme.
Dans l’œuvre ci-dessous, l’artiste AC2 BSK a peint une sorte de drapeau américain criblé de balles, sur lequel on peut lire le nom des noirs américains qui ont été tués ou agressés par la police ces dernières années. AC2 BSK veut alerter les passant sur le fait que même en 2018, des noirs américains se font toujours tuer sans raison. Une œuvre qui fonctionne vraiment bien, et très lourde de sens.
L’impact du Street-art à Bushwick
Grâce à l’initiative du Bushwick Collective et de Joseph Ficalora, le quartier s’est rapidement métamorphosé. Aujourd’hui, on y trouve de nombreux touristes, qui viennent admirer les murales, mais aussi des groupes faisant des tours guidés (comme j’ai pu faire). Bushwick attire les foules et le quartier est devenu très tendance et hype! (On est loin des années 80 où les gens n’osaient pas sortir de chez eux de peur de se faire agresser). Les cafés de coin de rue (et les bobos-hypsters qui vont avec) sont apparus. Cette métamorphose a engendré du bon, et du mauvais.
La valeurs des murs
Tout d’abord, les entreprises ont de suite compris le potentiel qu’avait ce quartier en termes de marketing et communication. Les murs ont pris beaucoup de valeur à présent. En 2012, lorsque Joseph Ficalora demandait à un habitant s’il pouvait utiliser son mur pour qu’un artiste peigne une murale, les habitants participaient volontiers. Mais aujourd’hui, ce sont les compagnies d’affichages publicitaires qui s’installent.
Dans ce quartier pauvre de la ville, imaginez si on dit à un habitant :
“Acceptes-tu de me prêter ton mur gracieusement pour y peindre une murale ?”
ou bien
“Acceptes-tu que je te paye 300 $ par mois et que je puisse accrocher au mur un panneau publicitaire ?“
Les habitants choisissent donc l’option des panneaux publicitaires, car ça leur permet de gagner un peu d’argent. Les entreprises arrivent même à installer des affichages publicitaires par-dessus les murales, on ne peut plus les voir, et c’est bien triste.
https://www.instagram.com/p/zK54JBJ32U/
Mais certaines entreprises sont malignes, elles font maintenant appel à la société Colossal Media (entre autre), qui a pour but de peindre des publicités. Autrement dis, on ne colle plus une affiche, on n’accroche pas de panneau, on peint tout simplement la publicité sur un mur. Et ça fonctionne! Lorsqu’on marche dans Bushwick, on peut voir d’immenses fresques sympathiques qui attirent l’œil. Puis on se rend compte soudainement qu’il s’agit d’une publicité pour un film, ou encore pour une application de smartphone. Voilà où on en arrive à Bushwick… Ceci n’est donc pas du street art, il s’agit tout simplement d’entreprises qui sont payées pour peindre une publicité sur un mur, afin que ça se fonde dans le paysage, et que les passants pensent qu’il s’agit d’une œuvre.
La gentrification et hausse des loyers à Bushwick
En 10 ans, Bushwick est devenu le nouveau quartier à la mode à Brooklyn. Il y a quelques années, le quartier de Williamsburg subissait le même sort, et devenait le quartier des hypsters à Brooklyn (et il l’est toujours !). Par conséquent, l’attraction du quartier a fait grimper les loyers, et les habitants sont de plus en plus contactés (voire harcelés) par les agences immobilières pour leur acheter leur bien immobilier. Certes, le street art a apporté de la visibilité au quartier, nous montre une plus belle image de Bushwick, et fait marcher l’économie locale. Pendant que des boutiques trendy s’installent, 30% des habitants vivent toujours sous le seuil de pauvreté, et ont peur de se faire expulser.
Certains habitants se serrent les coudes et affichent clairement devant chez eux le fait qu’ils ne comptent pas quitter leur maison.
Le point de vue des habitants de Bushwick
La guide nous a expliqué que certains habitants sont ravis de ce changement, ils en avaient marre de vivre dans un quartier sinistre et que ça amène un nouveau souffle. D’un autre côté, certains ne cachent pas leur colère envers le Bushwick Collective et leur reproche d’avoir amené à la gentrification du quartier. Sur quelques fresques de street art, j’ai pu lire “Graffiti tourists suck” ou encore “Fuck tourists”.
La crainte principale aujourd’hui, c’est que le quartier devienne autant “bobo” que le quartier voisin de Williamsburg et que les habitants actuels soient expulsés pour accueillir des familles riches de Manhattan. Ça, c’est l’avenir qui nous le dira…
J’espère que cet article sur Bushwick t’aura plu, qu’il t’aura fait découvrir le quartier, ses murales, mais aussi le business qui en découle. Tu peux retrouver mes autres articles sur New York ou encore mes articles relatant du street art
Pauline pour Soif de Voyages
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